C'est un véritable tremblement de terre dans le milieu de la cosmétique sud-coréen. Amorepacific, l'un des piliers de la K-beauty avec son portefeuille de marques toujours plus étoffé, a vu ses profits sur opération être divisés par deux l'année dernière, en comparaison avec 2016 où le groupe atteignait fièrement et pour la première fois de son histoire le club très fermé des "1 000 milliards de wons de ventes". Une première pour un acteur de la cosmétique.
Sur 2018, le groupe a réalisé des profits à hauteur de 549 milliards de wons, soit environ 431 millions d'euros. Le dernier trimestre a été catastrophique avec seulement 16,4 milliards de wons (12,88 millions d'euros) soit une chute sèche de 82% par rapport au dernier trimestre de l'année précédente. En termes de développement de marques et de ventes, Amorepacific est passé à côté. Et si le groupe se cache par exemple derrière l'augmentation du salaire minimum pour justifier ses mauvais résultats, la compétition dans les magasins de beauté, et les bons résultats de la concurrence dans le e-commerce et le home shopping (télé-shopping) sont les vrais enjeux pour 2019.
De ce fait, c'est son principal concurrent LG Household & Healthcare qui prend la tête du marché de la beauté en Corée du Sud et qui, par la même occasion, prend la place d'Amorepacific dans le club des "1 000 milliards de wons de vente", confortant son statut de leader en termes de capitalisation boursière avec pas moins de 23 100 milliards de wons en juin de l'année dernière.
Pour limiter sa chute vertigineuse, l'ex-leader du marché des cosmétiques a annoncé le mois dernier l'arrêt de son projet de complexe industriel de la beauté qui était prévu depuis 2017 du côté de Yongin, dans la province de Gyeonggi. Un projet estimé à 163 milliards de wons mais abandonné en raison de la diminution des bénéfices du groupe mais aussi de la plainte des habitants qui s'opposait à cette construction.
Pour les observateurs, 2019 s'annonce décisive pour Amorepacific, car en cas d'une baisse continue des ventes, la société aura beaucoup de mal à s'en remettre. « La reprise des bénéfices sur le marché local ainsi que la progression des ventes auprès de la clientèle chinoise seront les deux principaux points à surmonter pour Amorepacific cette année » annonce Na Eun-chae, chercheuse au Korea Investment and Securities Co.
Historiquement, les chinois aiment Amorepacific, en particulier Sulwhasoo, la marque luxueuse du groupe. En 2018, le territoire chinois représentait ainsi 10% des ventes totales de produits Sulwhasoo, suivi de Hong Kong (6%) et de Taïwan (0.5%). « Il n'est pas exagéré de dire que Sulwhasoo est la seule et très puissante vache à lait du groupe Amorepacific. Le département au sein de la société est le plus conséquent. Les employés y ressentent d'ailleurs de lourdes responsabilités et subissent de fortes pressions pour poursuive la croissance des ventes » déclare un spécialiste du secteur au journal Korea Herald.
Selon les données du groupe, Amorepacific s'appuie à hauteur de 55% sur ses marques dites de luxe et parmi elles, Sulwhasoo compte pour 36% des ventes. Il faut dire que le marché de la cosmétique de luxe est un "Océan Rouge", autrement dit un marché très fortement concurrentiel. Les produits anti-âge sont la nouvelle tendance et la clientèle recherche des marques haut de gamme et luxueuse. Une réponse a été apporté par LG Household & Healthcare avec la marque à base de plantes The History of Whoo.
Les ventes des produits Whoo ont explosé dans les magasins hors-taxes (duty-free) de Corée grâce à la clientèle chinoise conduisant Amorepacific a embauché l'actrice Song Hye-kyo (ci-dessous) en tant qu'ambassadrice internationale de sa marque Sulwhasoo.
C'est la première fois que la marque utilise une célébrité pour promouvoir ses produits. La marque du groupe LG a ainsi dépassé celle d'Amore. Whoo a ainsi enregistré 2 000 milliards de wons de ventes l'année dernière (+40.8% par rapport à 2017), alors que celles de Sulwhasoo se stabilisent autour des 1 000 milliards de wons depuis son dernier record de ventes de 2015.
Pour les experts, il ne fait aucun doute que la stratégie de Whoo a été adaptée aux attentes du marché (diversification de la gamme, mise à niveau de tous les produits) et a donc été payante. Sulwhasoo ne s'est concentré que sur ses produits fondamentaux de soins de la peau et a interdit l'achat en gros dans les magasins hors taxes pour la clientèle chinoise, aussi surnommé daigou (代购), quand LG mettait en place des règles flexibles pour cette cible.
Le packaging des produits joue aussi en faveur de Whoo avec ses dorures, son côté royale et fantaisiste, des éléments qui ne plaisent pas forcément aux coréens mais que les chinois adorent. L'actrice Lee Young-ae (ci-dessous), qui bien qu'elle ne fasse pas partie de la nouvelle vague de la Hallyu a une grande influence en Chine, a très bien été choisie pour représenter Whoo.
Les experts voient désormais plus que deux solutions pour Amorepacific : favoriser un développement international en visant d'autres communautés comme les musulmans qui représentent 1,8 milliards de nouveaux clients potentiels et penser sérieusement à développer une stratégie de fusions et acquisitions. Il n'y a qu'à voir ce que font les gros comme L'Oréal et Unilever ; ils viennent en Corée du Sud racheter les marques de beauté afin de les intégrer à leur portefeuille de marques.
De son côté, le groupe s'est fixé pour 2019 deux objectifs en termes de résultats : 10% d'augmentation des ventes et 24% d'augmentation des profits. Lors de son discours de début d'année, Suk Kyung-bae (ci-dessous), président d'Amorepacific, a insisté sur l'importance d'investir dans les nouveaux secteurs de la beauté comme la personnalisation des produits cosmétiques mais aussi les produits utilisés au jour le jour en fonction du développement de l'expérience du client.
Côté chinois, Amorepacific compte toujours sur sa chaîne de boutiques Innisfree lancé sur le territoire chinois en 2012 et qui se compose désormais de 512 magasins à travers les grandes villes du pays. Innisfree représente 50% des ventes de la filiale d'Amorepacific en Chine. Et face à la concurrence qui s'intensifie sur ce marché des produits dits naturels, le groupe coréen compte lancer sa marque Primera cette année en Chine pour atteindre 601 milliards de wons de bénéfice d'ici la fin d'année.
L'international est de toute façon la clé pour le groupe. Son expansion à l'étranger l'année dernière a été payante avec des ventes qui ont augmenté de 8% pour atteindre 1 900 milliards de wons générant ainsi un bénéfice d'exploitation en hausse de 6%, soit 2 600 milliards de wons.